L'intelligence artificielle (IA) transforme en profondeur le monde du travail et pose de nouveaux défis en matière de dialogue social. Automatisation, gestion des données, impacts sur l'emploi et conditions de travail : autant de sujets qui nécessitent une concertation entre employeurs et représentants du personnel. Cet article vise à donner aux élus du CSE (comité social et économique) les clés pour structurer un dialogue social efficace sur l'IA.

Pourquoi organiser un dialogue social sur l'IA ?

L'IA est déjà présente dans de nombreux secteurs d'activité : industrie, commerce, finance, santé, etc. Elle modifie la nature des tâches, les compétences requises et parfois même la finalité de certains métiers. Pour anticiper ces mutations, un dialogue social structuré est indispensable.

a) Anticiper les transformations de l'emploi

L'automatisation de certaines tâches grâce à l'IA peut entraîner des suppressions de postes, mais aussi la création de nouvelles fonctions. Le dialogue social doit permettre d'identifier les emplois menacés et d'anticiper les évolutions de compétences nécessaires.

b) Encadrer l'utilisation des données et de la surveillance

L'IA permet d'analyser une grande quantité de données, y compris celles relatives aux salariés. Il est donc essentiel d'établir des règles claires pour protéger la vie privée et prévenir les dérives de surveillance excessive.

c) Garantir des conditions de travail équitables

Certaines applications de l'IA (ex : algorithmes de gestion des plannings) peuvent entraîner une intensification du travail ou une flexibilité excessive. Les élus du CSE doivent veiller à ce que l'IA soit mise en place dans le respect des conditions de travail.

 

Le rôle des élus du CSE face à l'IA

Les représentants du personnel ont un rôle essentiel pour encadrer et anticiper l'introduction de l'IA en entreprise.

a) Exercer le droit d'information et de consultation

L'introduction de nouvelles technologies, y compris l'IA, fait partie des sujets soumis à consultation obligatoire du CSE (article L.2312-8 du Code du travail). Les élus doivent donc exiger des informations claires sur les outils mis en place, leurs objectifs et leurs impacts.

b) Demander une expertise externe

Face à la complexité des enjeux de l'IA, le CSE peut faire appel à un expert pour analyser les conséquences sur l'emploi et les conditions de travail, notamment dans le cadre d'une consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise.

c) Négocier des accords encadrant l'IA

Le CSE peut proposer l'ouverture de négociations sur l'encadrement de l'IA, notamment en matière de formation, d'évolution des compétences et de protection des données.

Opportunités et menaces de l'IA pour les salariés

L’IA présente des opportunités, mais également des menaces pour les salariés.

a) Opportunités

  • Automatisation des tâches répétitives et gains de productivité.
  • Amélioration de la sécurité au travail (ex : capteurs prévenant les risques d'accidents).
  • Personnalisation de la formation et développement de nouvelles compétences.

b) Menaces

  • Risque de suppressions d'emplois.
  • Surveillances excessives des salariés (ex : algorithmes de mesure de la performance).
  • Inégalités accrues entre les salariés qualifiés et non qualifiés.

 

Exemples concrets de négociations sur l'IA

a) Accord sur la formation et l'adaptation des compétences

Certaines entreprises ont déjà signé des accords garantissant un accompagnement des salariés face aux transformations liées à l'IA, via des formations qualifiantes ou des dispositifs de reconversion. Par exemple, en 2023, Orange a négocié un accord permettant aux salariés dont les métiers évoluent avec l’IA d’accéder à des parcours de formation spécifiques.

b) Encadrement de l'usage des algorithmes dans la gestion RH

Des négociations peuvent aboutir à la mise en place de chartes éthiques limitant l'usage de l'IA dans le recrutement, la promotion et l'évaluation des salariés. Par exemple, la SNCF a mis en place un cadre pour éviter toute discrimination algorithmique dans ses processus RH.

c) Surveillance et droit à la déconnexion

Des accords peuvent encadrer l'usage des outils de surveillance pour préserver le respect de la vie privée et garantir le droit à la déconnexion des salariés. Unilever, par exemple, a conclu un accord garantissant que les outils d’IA utilisés pour le suivi de la productivité ne puissent pas être exploités à des fins de sanction individuelle.

Conclusion

L'introduction de l'IA en entreprise est une réalité qui nécessite une anticipation et un encadrement clair. Le dialogue social est un levier indispensable pour s'assurer que l'IA soit mise au service des salariés et non l'inverse. Les élus du CSE doivent être proactifs pour garantir une transition juste et équilibrée, en veillant à la formation des salariés, à la préservation des emplois et à la protection des droits fondamentaux.

Didier FORNO

Expert-comptable du CSE

CEOLIS

Publié le 20/02/2025