Le comité social et économique (CSE) joue un rôle crucial dans la prévention des risques professionnels au sein de l’entreprise. Lorsqu’un risque grave est constaté, le CSE peut faire appel à un expert habilité pour réaliser une expertise. Récemment, un arrêt de la Cour de cassation a renforcé les prérogatives de cet expert en matière d’audition des salariés, sans nécessiter l’autorisation préalable de l’employeur. Cet article vise à expliquer cette décision et ses implications pour les élus du personnel.

 

Contexte légal et juridique

Selon l’article L. 2315-94 du Code du travail, le CSE peut recourir à un expert habilité lorsqu’un risque grave est détecté dans l’établissement. Cet expert a alors un accès libre à l’entreprise (article L. 2315-82) et peut demander la communication de tous les documents nécessaires à sa mission (article L. 2315-83). La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 juillet 2024, a précisé que l’expert peut également auditionner les salariés, à condition que ceux-ci y consentent, et ce, sans l’accord préalable de l’employeur.

 

Cas pratique : expertise pour risque grave

L’affaire ayant mené à cet arrêt concernait un CHSCT d’un groupe hospitalier qui avait sollicité une expertise pour risque grave suite à des signalements de souffrance au travail parmi les agents du service des ressources humaines. L’expert avait prévu de réaliser 70 entretiens avec les salariés, ce qui avait conduit l’employeur à contester le coût et l’étendue de l’expertise. Le juge, saisi par l’employeur, a néanmoins validé le droit de l’expert à procéder à ces auditions sans l’autorisation de l’employeur.

 

Auditions des salariés : nécessité et consentement

L’arrêt du 10 juillet 2024 stipule que l’expert, dans le cadre d’une expertise pour risque grave, peut auditionner les salariés si cela est jugé nécessaire pour accomplir sa mission. Le consentement des salariés concernés est obligatoire, mais l’accord de l’employeur ne l’est pas. En cas de contestation par l’employeur, il appartient au juge d’apprécier la nécessité de ces auditions.

Cette décision se fonde sur l’obligation de sécurité de l’employeur, qui doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la santé et la sécurité des salariés (articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail). La mission de prévention des risques professionnels, qui relevait auparavant du CHSCT, est désormais dévolue au CSE, incluant la possibilité de diligenter une expertise en cas de risque grave (articles L. 2312-9 et L. 2315-94).

 

Demande de documents : large pouvoir de l’expert

En plus des auditions, l’expert a le droit de demander tous les documents qu’il juge nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Dans le cas du groupe hospitalier, l’employeur contestait également le grand nombre de documents demandés, arguant qu’ils dépassaient le périmètre des services concernés par l’expertise. La Cour de cassation a rejeté cet argument, soulignant que le juge doit apprécier la nécessité des informations réclamées par l’expert.

Le tribunal avait constaté que l’expertise nécessitait l’analyse de documents touchant l’ensemble de l’hôpital, notamment pour comprendre les interactions entre différents services. Parmi ces documents figuraient l’organigramme, les procès-verbaux des CHSCT des deux années précédentes, le bilan social, le bilan hygiène et sécurité, les rapports annuels, et le document unique d’évaluation des risques.

 

Conclusion

L’arrêt du 10 juillet 2024 de la Cour de cassation renforce les prérogatives des experts habilités dans le cadre des expertises pour risque grave, en leur permettant d’auditionner les salariés sans l’aval de l’employeur. Cette décision s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de sécurité de l’employeur et du rôle de prévention des risques professionnels dévolu au CSE. Les élus du personnel doivent être informés de ces évolutions pour mieux accompagner les entreprises dans la gestion des risques et la protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Didier FORNO

Expert spécialisé dans les CSE

CEOLIS

Publié le 31/07/2024