La France traverse actuellement une situation sociale de tension extrême. Les premiers signent d’alerte remontent au mouvement des gilets jaunes. La montée de l’inflation qui ronge le pouvoir d’achat réactive les revendications salariales.

Dans les mois à venir, les mouvements de grèves font s’amplifier.

 

Pourquoi faire grève ?

Dans la très grande majorité des cas, employeurs et syndicats de salariés trouvent des compromis sur les revendications sociales. Quand la situation reste bloquée, le recours à la grève apparait comme la seule alternative pour faire bouger les lignes.

Ces mouvements de grèves portent la plus par du temps sur les salaires.

La grève est un moyen de pression redoutable qui met sous pression l’employeur (perte de chiffre d’affaires, dégradation des résultats, mauvaise ambiance). Le pourrissement du conflit est catastrophique pour toutes les parties (employeur, salariés, syndicats).

C’est la raison pour laquelle, les mouvements de grève aboutissent, en général, à des négociations.

Quelles sont les règles à respecter par les salariés, pour rester dans le cadre légal de la grève ? Tour d’horizon d’un moyen d’action, peu utilisé dans le privé, contrairement aux idées reçues…

 

Qu’est-ce que la grève ?

Le droit de grève est un droit fondamental de valeur constitutionnel. Ce droit est très peu réglementé dans le secteur privé. La grève se définit comme une cessation totale du travail, collective et concertée en vue d’appuyer des revendications professionnelles, dont l’employeur a eu connaissance.

Cessation totale du travail

Pour qu’un arrêt de travail soit qualifié de grève, il faut une cessation totale du travail. Les actions qui consisteraient à ralentir l’activité ne remplissent pas cette condition.

Cessation collective du travail

La cessation du travail doit être collective. Il n’est pas pour antan nécessaire que l’ensemble ou la majorité des salariés cesse de travailler. La grève peut être limitée à un établissement, un service ou quelques salariés.

Il n’existe pas de durées minimales ou maximales des arrêts de travail définies par la loi. Le mouvement peut être de très courte durée (c’est souvent suffisant pour qu’un dialogue social s’installe).

Par exception, l’arrêt de travail d’un seul salarié peut constituer une grève lorsqu’il répond à un mot d’ordre national.

Cessation concertée du travail

La grève implique une concertation préalable des salariés. Cela n’empêche pas les mouvements de grève spontanés. La grève peut être déclenchée à tout moment. Seule règle imposée par la jurisprudence, l’employeur doit avoir eu connaissance des revendications des salariés au moment de l’arrêt de travail.

Aucun formalisme n’est prévu pour présenter les revendications à l’employeur. Elles peuvent être présentées oralement ou par écrit.

Souvent, la grève est précédée de la distribution de tracts, d’assemblées de salariés, de réunions préalables entre syndicats et direction.

Revendications professionnelles

Pour que la grève soit légale, la cessation du travail doit être fondée sur des revendications professionnelles (salaires, conditions de travail, hygiène et sécurité, etc.).

La contestation d’une décision de l’employeur ayant des incidences sur l’emploi (restructuration, délocalisation) entre dans ce cadre.

La grève de solidarité qui consiste à cesser le travail pour soutenir d’autres salariés est licite si elle a pour objet de satisfaire des revendications professionnelles. Il en est de même lorsque ce mouvement a pour objectif de soutenir des salariés d’autres entreprises.

L’arrêt de travail pour contester une décision des pouvoirs publics ou affirmer une position politique est licite lorsqu’elle s’inscrit dans un mouvement national de mobilisation contre un projet gouvernemental traitant de l’emploi et des conditions de travail.

 

Délai de préavis

Il n’existe pas de préavis de grève dans le secteur privé, à l’exception du transport terrestre et aérien (mission de service public). Dans le secteur public, le dépôt d’un préavis est obligatoire.

 

Quelles sont les différentes formes de grève ?

Toutes les formes de grève ne sont pas licites. Tour d’horizon de ce qui est permis et interdit.

Débrayages répétés

Les arrêts de travail courts et répétés ne constituent pas un abus du droit de grève dès lors qu’ils n’entraînent pas une désorganisation de l’entreprise. Il en est de même pour les grèves tournantes et les grèves bouchons.

Grève perlée

Grève perlée, c’est quoi ? La jurisprudence propose une définition de la grève perlée. La grève perlée consiste en une exécution du travail au ralenti ou dans des conditions volontairement défectueuses (cass.soc.05.03.53, no 53-01.392).

La grève perlée n’entraînant pas une cessation totale du travail (condition essentielle de la grève), ce mouvement est par conséquent illicite.

Piquets de grève

Le « piquet de grève » consiste, pour un groupe de grévistes, à se tenir devant l’entrée de l’entreprise pour inciter les salariés à rejoindre le mouvement. Ce procédé est licite s’il n’empêche pas les salariés non-grévistes d’entrer dans les locaux.

L’atteinte à la liberté du travail des non-grévistes constitue une faute lourde.

Occupation de l’entreprise

L’occupation illimitée des locaux de l’entreprise est illicite. Elle constitue une atteinte à la liberté du travail. Dans ce cas, l’employeur peut demander en justice l’expulsion des grévistes.

Séquestration de cadres ou de dirigeants

Elle est totalement illégale.

 

L’employeur peut-il « casser » un mouvement de grève ?

Le droit du travail protège les salariés grévistes. Les moyens de rétorsions de l’employeur sont donc limités.

L’employeur ne peut ni sanctionner ni licencier un salarié gréviste, sauf faute lourde imputable à l’intéressé (voie de fait, rixe, intention de nuire à l’entreprise ou à l’employeur).

Il est interdit à l’employeur de faire appel à des intérimaires ou des CDD pour remplacer un salarié en grève. De même, il ne peut pas réquisitionner des salariés grévistes, seul le préfet dispose de ce pouvoir dans des situations bien précises (maintien de l’activité économique, besoins essentiels de la population).

L’employeur ne peut pas accorder des primes aux non-grévistes du fait de leur non-participation à la grève.

Les heures de travail perdues ne peuvent pas être récupérées.

L’employeur ne peut pas fermer l’entreprise (lock-out), sauf s’il ne peut pas fournir du travail aux salariés non-grévistes ou si des actes graves de violence ou de dégradations ont été commis par les grévistes.

 

L’État peut-il réquisitionner des salariés ?

Le Code général des collectivités territoriales permet au préfet de réquisitionner les grévistes, en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont il dispose ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient les pouvoirs de police.

La décision de réquisition ne doit pas porter une atteinte « grave et manifestement illégale » au droit de grève.

Dans le cas récent, des grèves dans les raffineries, le tribunal administratif a estimé que la pénurie de carburant menaçait le ravitaillement des véhicules de services publics et de services de première nécessité et créait des risques pour la sécurité routière et l’ordre public et que, par conséquent, les réquisitions étaient proportionnées.

 

Incidence de la grève sur le contrat de travail

Pendant la durée de la grève, le contrat de travail est suspendu. Les heures de grève ne donnent donc pas lieu à rémunération (la sortie de grève s’accompagne souvent du paiement total ou partiel des heures perdues).

L’exercice du droit de grève ne peut pas faire l’objet d’une mention sur le bulletin de paie.

Le gréviste ne perd pas sa qualité d’assuré social, mais il n’est plus couvert par la législation sur les accidents du travail.

La grève peut entrainer la réduction ou la surpression des primes attribuées sous condition de présence dans l’entreprise.

 

Comment sortir par le haut d’un mouvement de grève ?

Sortir d’un conflit « par le haut » est compliqué, surtout lorsque le mouvement de grève a été long et dur. L’entreprise a souvent perdu du chiffre d’affaires et les salariés de l’argent. Employeur et salariés éprouvent du ressentiment, qui peut peser très lourd par la suite (ambiance de travail dégradée, dialogue social au point mort).

Direction et syndicats doivent donc maintenir le contact, même en cas d’extrême tension. Les représentants syndicaux doivent communiquer régulièrement et en toute transparence, auprès des salariés, sur les avancées ou non, des négociations.

Le respect de toutes les parties prenantes est aussi essentiel : il ne faut pas chercher à stigmatiser telle ou telle personne.

Les élus du personnel doivent rester à l’écoute des salariés grévistes et non-grévistes.

Les revendications des grévistes doivent être claires, sans chercher à surenchérir.

Enfin, il faut penser à l’avenir, le dialogue social doit être maintenu, d’autres sujets devront être négociés à l’avenir.

Ne pas faire de la grève une affaire personnelle. Les syndicats représentent les grévistes. Ils doivent mener leurs actions strictement dans ce cadre.

La sortie du conflit est en général le fruit d’une négociation entre employeur et grévistes avec la conclusion d’un protocole de fin de grève, dont les signataires sont souvent les organisations syndicales.

À défaut d’avancée dans les négociations, employeur et grévistes peuvent décider de recourir à des personnes extérieures au conflit pour régler celui-ci (conciliation, arbitrage, médiation).

Le plus dur dans une grève est dans sortir… par le haut !

Didier FORNO

Assistance juridique du CSE

CEOLIS

Publié le 17/10/2022