Le 3 août 2022, l’Assemblée nationale puis le Sénat ont définitivement voté la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. De même, la loi de finances rectificative pour 2022 a été définitivement adoptée.
Face à la grogne des salariés, ces lois ont pour ambition de renforcer le partage de la valeur ajoutée des entreprises, pour une société plus équitable.
Ce pari est-il tenu ?
Pérennisation de la prime « Macron »
La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA ou prime Macron) est pérennisée. Elle change de nom et s’appelle désormais « prime de partage de la valeur ». Pour être intégralement exonérée de cotisations, elle ne doit pas dépasser 3 000 euros par année civile et par bénéficiaire. Cette limite est portée à 6 000 euros lorsqu’un dispositif d’intéressement est mis en œuvre.
Le montant attribué à chaque salarié pourra varier en fonction de sa rémunération, de son niveau de classification, de son ancienneté dans l’entreprise, de sa durée de présence effective ou de la durée de travail prévue au contrat.
Une exonération fiscale est instaurée à titre temporaire jusqu’au 31 décembre 2023. Les salariés dont la rémunération est inférieure à trois fois la valeur du SMIC bénéficieront d’une exonération d’impôt sur le revenu et de CSG/RDS.
Comme le dit Bugs Bunny : « quoi de neuf docteur ? »… Rien !
Ce dispositif apporte quelques ajustements à la marge qui ne bouleverse en rien la situation actuelle.
Cette prime de « partage de la valeur ajoutée » peut même avoir un effet bloquant sur les augmentations de salaire, un employeur préférant bénéficier des exonérations de cotisations liées à la prime, plutôt que de négocier sur les salaires !
Le montant moyen de la prime Macron versée en 2021 a été en moyenne 506 euros ! La faiblesse de la somme relativise tout ce dispositif législatif.
Favoriser la mise en place de l’intéressement
Pour faciliter la diffusion de l’intéressement, la loi sur le pouvoir d’achat prévoit la possibilité de négocier un accord pour 5 ans (actuellement cette durée est comprise entre 1 et 3 ans).
Dans les entreprises de moins de 50 salariés, la mise en place de l’intéressement peut être décidée de façon unilatérale par l’employeur.
Une procédure dématérialisée de rédaction des accords d’intéressement sera mise en place.
La loi supprime le contrôle préalable de la légalité de l’accord d’intéressement par l’Administration.
On ne voit pas, dans ces modifications symboliques, ce qui pourrait faciliter le développement de l’intéressement ! Aucune disposition contraignante n’ayant été adoptée.
Déblocage exceptionnel de l’épargne salariale
L’épargne salariale (intéressement et participation) est normalement bloquée cinq ans. La loi sur le pouvoir d’achat autorise le salarié à débloquer les sommes, jusqu’au 31 décembre 2022, en une seule fois, dans la limite d’un plafond global de 10 000 euros. Ce déblocage doit être réalisé pour financer l’achat d’un ou plusieurs biens ou prestations de services.
Cette évolution de la loi n'apporte aucun pouvoir d’achat supplémentaire, puisqu’elle concerne des sommes déjà acquises…
Monétisation des jours de RTT
Le salarié d’une entreprise peut désormais monétiser, avec l’accord de l’employeur, des jours ou demi-journées de RTT non pris, acquis au titre des périodes postérieures au 1er janvier 2022. Ce dispositif s’applique jusqu’au 31 décembre 2025.
Le paiement de ces RTT sera majoré d’un montant au moins égal au taux de majoration de la première heure supplémentaire, soit 25 % en l’absence d’accord collectif. De plus, les sommes seraient exonérées d’impôt sur le revenu dans la limite de 7 500 euros.
Cette disposition ouvre la porte à une remise en cause des 35 heures. Elle va concerner essentiellement les Cadres et va générer de la fatigue en plus pour les salariés. Un paradoxe, à une époque ou l’on a jamais autant parlé de santé au travail !
Défiscalisation des heures supplémentaires
Le plafond annuel d’exonération d’impôt sur le revenu des heures supplémentaires et complémentaires est relevé de 5 000 euros à 7 500 euros.
Il s’agit là aussi, d’une mesurette.
Revalorisation du seuil d’exonération des titres restaurants
À compter du 1er septembre 2022, pour les tires émis, le seuil d’exonération fiscal et social est relevé de 5,69 euros à 5,92 euros.
D’autres mesurettes tout aussi symboliques ne méritent même pas que l’on s’y attache…
Tromperie sur la marchandise !
La loi sur le pouvoir d’achat a été « vendue » comme un tournant dans le partage de la valeur ajoutée créée dans les entreprises. Ce partage devant être plus équitable. Les salariés devant augmenter leur pouvoir d’achat, pour atténuer les effets de l’inflation. On nous annonçait un monde différent, plus juste.
Le même discours a été tenu au moment du mouvement des gilets jaunes…
Suite aux élections présidentielles et législatives, la NUPES et le RN (Rassemblement National) annonçaient une offensive, façon « Volfoni », pour la défense du pouvoir d’achat des Français, dans un contexte d’absence de majorité pour le groupe Renaissance.
Comme dans le cultissime film « Les tontons flingueurs » : « J’m'en vais lui faire une ordonnance ! Et une sévère !… J'vais lui montrer qui c’est Raoul ! Aux quatre coins d'Paris qu’on va l’retrouver éparpillé par petits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m’en fait trop, j’correctionne plus : j’dynamite, j’disperse, j’ventile… » (Bernard Blier allias Raoul Volfoni).
Au final, il n’en est rien, la montagne a, encore une fois, accouché d’une souris.
Il faut que tout change pour que rien de change !
Cette célébrissime réplique est extraite de l'un des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale, ayant donné lieu, en 1963, à une célèbre adaptation cinématographique du réalisateur Luchino Visconti, "Le Guépard".
J’aime citer cette phrase, car elle s’applique depuis 40 ans au monde politique. Les têtes changent, les majorités changent, les discours se veulent pro-salariés, mais au final, rien ne bouge.
Depuis la loi sur les 35 heures, les acquis sociaux des salariés subissent des attaques incessantes, masquées par des mesurettes qui font croire que…
Les Français ne sont plus dupes de cette situation, mais semblent totalement apathiques, absorbés par les difficultés de la vie quotidienne.
La loi sur le pouvoir d’achat démontre une fois de plus cet état de fait. Encore un mauvais film de « série B », pour calmer l’opinion publique.
Retrouver cet article sur le site MIROIR SOCIAL
CEOLIS
Expert CSE
Publié le 22/08/2022