Le statut des livreurs des plateformes de livraison donne lieu actuellement à de nombreuses décisions de justice. Le statut de salarié est au cœur du débat. La jurisprudence est en construction, d’où des positions des tribunaux, parfois totalement contradictoires…
La Cour d’appel de Paris rejette le lien de subordination
Une décision récente de la Cour d’appel de Paris (CA Paris du 7 avril 2021) vient jeter un peu plus le trouble sur un sujet polémique.
Un salarié signe, le 8 janvier 2016, un contrat de prestation de service avec la société DELIVEROO. Le livreur voit son contrat résilié le 30 mars 2017. Il saisit le Conseil des prud’hommes afin d’obtenir une requalification de son contrat de prestations en contrat de travail.
Il argumente sa demande : il travaillait dans le cadre d’un service organisé, soumis à des instructions strictes (tarifs, tenue vestimentaire, horaires de travail) et contrôlé par géolocalisation. Il en conclut qu’il est bien dans un lien de subordination vis-à-vis de la plateforme, ce qui constitue, l’élément essentiel permettant de distinguer le contrat de travail des autres contrats.
Le livreur est débouté en première instance. Il n’obtient pas plus de résultat devant la Cour d’appel de Paris.
La Cour d’appel conclue à l’absence de lien de subordination et développe son argumentation : la tenue vestimentaire ne comporte pas de logo de la société, le livreur peut accepter ou refuser la prestation (en fonction de la rétribution proposée), le système de géolocalisation est « inhérent » au service et ne peut pas être assimilé à un système de contrôle hiérarchique.
Des décisions de justice différentes pour la même plateforme !
Dans une affaire identique, concernant la même plateforme de livraison, les prud’hommes avaient requalifié le contrat d’un livreur en contrat de travail (décision du 4 février 2020). L’appréciation des tribunaux est donc très fluctuante…
La Cour de cassation n’a pas encore livré son analyse sur la requalification des contrats liant la plateforme DELIVROO à ses livreurs. À n’en pas douter, son analyse est attendue avec impatience !
Un enjeu de société…
Au-delà du cas « DELIVEROO », c’est un enjeu de société important qui se joue : la remise en cause ou non, du statut de salarié et de ses avantages. Les dirigeants des plateformes numériques rêvent d’un monde « ubérisé », constitué de livreurs autoentrepreneurs corvéables et sans protection sociale et juridique. Un monde sans solidarité, sans garde-fou.
… qui concerne tous les pays
Le statut juridique des travailleurs exerçant via des plateformes numériques, est aussi très présent chez nos voisins européens qui ont su, pour certains (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne), intégrer sur le plan législatif des formes de travail intermédiaires entre le salariat et les indépendants.
Vers une harmonisation européenne ?
La Commission européenne a lancé, le 24 février 2021, la première phase de consultation des partenaires sociaux européens sur « une éventuelle action visant à relever les défis liés aux conditions de travail dans le cadre du travail via des plates-formes ». Cette initiative pourra déboucher sur l'adoption d'une directive européenne.
Deux possibilités semblent possibles pour reconnaître le statut des travailleurs des plates-formes : soit le salariat, soit la reconnaissance de la qualité de « travailleur », avec des droits significatifs (rémunération, durée du travail, droits syndicaux, etc.), conformes au minimum aux engagements internationaux et européens (Conventions de l'OIT ; charte sociale européenne ; etc.).
Ainsi, le droit du travail s'appliquerait à tous les travailleurs, y compris les non-salariés.
Didier FORNO
CEOLIS
Assistance juridique CSE
Publié le 26/04/2021