Le CSE ne peut plus imposer une condition d’ancienneté dans l’attribution des œuvres sociales et culturelles !
La question de l’ancienneté dans l’attribution des œuvres sociales et culturelles (ASC) est un sujet ancien, qui revient de façon récurrente dans l’actualité. Une réponse ministérielle de 2014 semblait avoir définitivement clos le sujet, en estimant que le critère d’ancienneté était discriminatoire.
L’URSSAF, en 2022, dans son guide pratique du Comité social et économique (CSE) se positionnait clairement, sur la possibilité de mettre en place une condition d’ancienneté. Il s’agissait d’une évolution importante de la doctrine.
C’était sans compter sur la Cour de cassation, qui vient de rendre un arrêt, totalement en contradiction avec la position de l’URSSAF.
De quoi y perdre son latin ! Éclairage sur une situation confuse…
Définition d’une œuvre sociale et culturelle
Définir une œuvre sociale et culturelle n’est pas simple. La loi et peu précise. Au fil du temps, la jurisprudence a dégagé un certain nombre de principes.
Principe fondamental : les œuvres sociales et culturelles sont des activités ou actions non obligatoires, non rémunératoires, menées en faveur des salariés et de leur famille en vue de l'amélioration de leurs conditions de vie.
La Cour de cassation a complété cette définition : l’œuvre doit être non obligatoire, non discriminatoire et concourir à l'amélioration des conditions de vie et de travail du personnel.
Tout ce qui incombe légalement à l'employeur en matière sociale échappe à la gestion du comité social et économique et ne peut être qualifié d'activité sociale et culturelle.
Qui peut bénéficier des œuvres sociales et culturelles ?
Le Code du travail précise que le CSE doit réserver les activités sociales et culturelles « prioritairement » au bénéfice des salariés, de leur famille et aux stagiaires (C. trav., art. L. 2312-78 ).
Les activités sociales et culturelles doivent bénéficier à tous les salariés, quelle que soit la forme de leur contrat de travail (contrat à durée indéterminée ou à durée déterminée, contrat d'apprentissage, contrat de formation en alternance, etc.).
La loi prévoit que les salariés embauchés en CDD et ceux titulaires de CDI sont placés sur un pied d'égalité (C. trav., art. L. 1242-14).
Les œuvres sociales et culturelles doivent être attribuées sans discrimination
Une activité sociale et culturelle doit s'adresser à l'ensemble du personnel et ne doit en aucun cas être discriminatoire (Cass. soc., 24 févr. 1983, no 81-14.118 ; Rép. min., JO Ass. Nat. Q. no 84460, 13 déc. 2011 ; Rép. min., JOAN Q no 43931, 6 mai 2014, p. 3688).
Sont considérés comme discriminatoires les critères suivants : « son origine, son sexe, ses mœurs, son orientation sexuelle, son identité de genre, son âge, sa situation de famille ou sa grossesse, ses caractéristiques génétiques, la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou mutualistes, ses convictions religieuses, son apparence physique, son nom de famille, son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français ».
Quid du critère d’attribution basé sur l’ancienneté du salarié ?
D’après le ministère du Travail, l'ancienneté et la présence effective sur l'année sont considérées comme des éléments discriminatoires (Rép. min., JOAN Q no 43931, 6 mai 2014, p. 3688). La Cour de cassation (Cass. 2e civ.., 28 nov. 2019, no 18-15.605) a une position identique.
La situation paraissait donc limpide…
L'Urssaf pouvant donc réintégrer dans l'assiette des cotisations, par exemple, les bons d'achat ou cadeaux attribués sur la base de critères discriminatoires.
Enfin, pas vraiment…
C’était sans compter sur la publication par l’URSSAF, en 2022, d’un nouveau guide pratique du Comité social et économique, dans lequel, elle aborde les principes applicables en matière de cotisations sur les prestations.
Il est précisé dans un encadré du guide :
En application de l’instruction ministérielle du 17 avril 1985, les prestations en lien avec les activités sociales et culturelles du CSE sont exonérées de cotisations et contributions sociales. Cela concerne les activités extra-professionnelles, sociales ou culturelles (détente, sports, loisirs) au bénéfice des salariés ou anciens salariés, de leurs familles et des stagiaires.
À noter : ce bénéfice peut être réservé aux salariés ayant une ancienneté, dans la limite de six mois.
Il « semblait » donc possible pour les CSE d’imposer une condition d’ancienneté aux bénéficiaires des œuvres sociales et culturelles, sans pouvoir dépasser 6 mois.
L’URSSAF ne « devait » donc plus désormais opérer de redressement de cotisations sociales sur les ASC délivrées sur la base d’une condition d’ancienneté inférieure ou égale à 6 mois.
Il fallait toutefois apporter une réserve à cette possibilité. Il s’agissait d’une simple tolérance administrative, non opposable aux juges.
La Cour d’appel de Paris (arrêt du 24 mars 2022) confirmait ce changement d’analyse : « l’ancienneté est un critère objectif, non discriminatoire, dès lors qu’il s’applique indistinctement à tout salarié quel qu’il soit et notamment quel que soit son âge ».
Le débat n’était pas totalement clos, mais il semblait bien qu’un CSE pouvait intégrer une condition d’ancienneté, sans crainte d’être soumis à cotisations, en raison du principe de discrimination.
Coup de théâtre : la Cour de cassation invalide la condition d’ancienneté
La Cour de cassation dans un arrêt du 3 avril 2024 rebat les cartes : « un CSE ne peut subordonner le bénéfice de ses ASC à une condition d’ancienneté, quelle qu’elle soit ».
Dans son arrêt, la Cour de cassation pose pour principe que « s’il appartient au comité social et économique de définir ses actions en matière d’activités sociales et culturelles, l’ouverture du droit de l’ensemble des salariés et des stagiaires au sein de l’entreprise à bénéficier des activités sociales et culturelles ne saurait être subordonnée à une condition d’ancienneté ».
Pour la chambre sociale, aucune condition d’ancienneté, quelle qu’en soit la durée, ne peut être opposée aux salariés, de même qu’aux stagiaires, qui peuvent donc bénéficier des ASC dès leur entrée dans l’entreprise et du seul fait de cette qualité.
Cet arrêt du 3 avril 2024 proscrit ainsi clairement la pratique, pourtant répandue, des conditions d’ancienneté en matière d’ASC. Et contrairement à la position tenue par l’Urssaf dans son guide pratique relatif aux prestations versées par le CSE, le fait d’exiger une ancienneté inférieure à six mois n’y change rien.
Une posture idéologique de la Cour de cassation ?
La position de la Cour de cassation est basée sur le principe de non-discrimination. Principe désormais érigé en dogme par les juges suprêmes, dont l’abus d’utilisation, dans la moindre affaire judiciaire devient ridicule.
Il nous semble (comme l’a précisé la Cour d’appel de Paris sur cette même affaire) qu’appliquer un critère d’ancienneté dans l’attribution des œuvres sociales et culturelles :
- Appliquée de la même manière à l’ensemble des salariés, lesquels sont tous placés dans la même situation au regard d’un critère objectif qui ne prend pas en compte les qualités propres du salarié ;
- Ayant pour objet d’éviter un « effet d’aubaine résultant de la possibilité de bénéficier, quelle que soit l’ancienneté, des actions sociales et culturelles du comité réputées généreuses » ;
Ne constitue pas une discrimination.
Que doit faire le CSE ?
Les CSE qui ont mis en place une condition d’ancienneté dans l’attribution des œuvres sociales et culturelles doivent revoir leur politique d’attribution des ASC, pour se conformer à la position de la Cour de cassation.
Quelles conséquences financières pour le CSE ?
Pour certains CSE d’entreprises, les conséquences financières pourraient être importantes. En effet, ceux-ci font devoir gérer un déséquilibre entre les subventions perçues (calculées sur la masse salariale) et les œuvres sociales à verser (la masse salariale des salariés ayant peu d’ancienneté contribuant faiblement au montant de la subvention versée au CSE).
Certains CSE, aux budgets « serrés » vont devoir réduire, par exemple, le montant des chèques cadeaux ou des chèques vacances attribués à chaque salarié, pour ne pas mettre en péril les équilibres financiers.
Conclusion
La Cour de cassation vient d’inventer « la discrimination à l’envers », qui consiste à « pénaliser » non plus les salariés ayant peu d’ancienneté, mais à « pénaliser » les salariés ayant une année complète d’activité !
Les juges de la Cour de cassation voient de la discrimination, là, ou en réalité, seules des considérations budgétaires entraient en ligne de compte.
Cette posture (idéologique ?) des juges nous semble non fondée et quelque peu ridicule.
À force de voir le mal partout, on ne voit plus le bien…
Didier FORNO
Assistance juridique du CSE
CEOLIS
Publié le 12/04/2024